Deux hommes en noir

Ayant observé la taverne pendant plusieurs jours tel le vautour guettant sa proie, le capitaine Flanagan et son second, dit "Chico en rapport à sa dentition défectueuse", avaient décidé de passer à l'action.

Deux hommes vêtus de tenues officielles, mais visiblement trop grandes, pénétrèrent dans l'établissement.

"Bonsoir Messieurs"

Puis ils prirent la direction du comptoir sans ajouter mot. Une fois installés ils posèrent un parchemin à enluminures à la vue et interpelèrent le Tenancier.

"Aubergiste, nous sommes les inspecteurs Big et..."
Dévisageant son second
"Et White, du Bureau Local des importations et Débit de Piquette. Mais abrégeons les présentations nous avons du travail"

Et il rengea le parchemin aussi rapidement qu'il l'avait posé.

Nous sommes mandatés afin de vérifier si la qualité de vos produits se situe dans la moyenne des commerces de proximité et éviter les concurences déloyales. À ce titre vous êtes prié de nous faire déguster tout votre stock, vous pouvez constater que dans un souci d'objectivitée nous intervenons à deux représentants."

*Flanagan s'interrompit et pensa: Nous allons bien voir si ces pirates sont à la hauteur de leur réputation où si ce sont des Européens fraichement débarqués qui ont la barbe et le pistolet à la ceinture. Si la ruse de Chico nous fait boire à l'oeil je lui paye une fille de joie tous les soirs durant un mois, sinon il passera la prochaine campagne accroché à la figure de proue par les orteils!*

Jugeant que l'aubergiste ne mettait pas assez d'entrain Flanagan l'interpela afin aussi de ne pas risquer d'avantage de se faire remarquer en s'attardant sur les lieux

"Hâtez vous Tavernier, nous sommes pressés!"

Encore visiblement très secoué, le tavernier s’approcha de celui qui s’était présenté sous le nom de Big.

«Et qu’est-ce que ce sera pour ces messieurs? Hein? Inspecteurs de keuwa???? Et ils ont un papier, une lettre de marque, une carte, un post-it, un tatouage, queque chose d’officiel?»

Un frisson parcourut l’échine de Flanagan, puis il se ressaisit Il cessa de penser par quel orteil il allait suspendre son second et se concentra.

Car il fallait déjà berner le tavernier seul, mais là il avait le renfort d’un habitué et c’était pas gagné que de sentir le doux parfum du rhum consommé à l’œil.

Ceci dit l’aubergiste a l’air « fatigué » ; quant à son habitué lui aussi n’a pas l’air dans son assiette, c’est le moment d’en profiter.Flanagan exhiba une nouvelle fois le parchemin sans le dérouler ni le lâcher, on ne sait jamais…
Et d’un ton assuré lança :

« Voici, le mandat nous autorisant à prélever de gré ou de force. A vous de voir nous pouvons prendre notre dû dans le calme ce soir ou avec quelques débordement et dommages collatéraux demain après interventions de la Branche sécurité de notre bureau. »


*Mais pourquoi ce diable de Chico a-t-il choisi une taverne pirate ? Certes ci ça marche nous pourrons nous vanter pendant quelques soirées d’ivresse. Mais bon, une taverne nationaliste aurait été moins risquée… Il a toujours eu les yeux plus gros que le ventre !*

Il remit le parchemin dans sa poche intérieure et reprit.

« Puisque vos stocks sont maigres, nous nous contenterons d’un seul tonneau pour l’échantillonnage de sécurité que nous devons emporter sur l’heure, le bureau s’en contentera. »

*Mon équipage aussi s'en contentera... Il serait même plus juste de dire qu’il sera fou de joie.*

Dans l’attente d’une réponse Flanagan mit ses mains sur les hanches,se rassurant du contact des pistolets dissimulés sur ses flancs.

*Le plan B ya que ça de vrai…*

Il releva les pans de sa veste de manière à faire paraitre les crosses des pistolets et renchérit.

" Sachez cependant qu'en cas d'agressivité de la part des établissements contrôlés, nous sommes autorisés à utiliser la force pour protéger notre intégrité physique."

Arland eu un franc sourire. Il se retourna et lança un sifflement sonore.
Il se remit face aux "étrangers" avec air sur de lui et moqueur.
Rien ne se passait.
Le sourire se transforme en rictus de gène dissimulé.
Au bout d'un moment, il se retourna une nouvelle fois et lança d'une voix forte :

"Bordel bande de chiennes galeuse ! Des nationalistes en veulent à notre Rhum ! Comme j'vous l'dit !"

Des raclements se firent entendre derriere la porte située au fond de la salle qui ressemblait fortement à un repaire secret
Le sourire revint sur le visage du Maudit.

La confiance aussi ...

Le geste du sieur « Big », tout en révélant la crosse de ses pistolets, avait laissé apparent le fameux papier que les nouveaux venus semblaient vouloir dissimuler aux regards. D’un geste vif de tenancier habitué à attraper les pièces de huit avant qu’elles ne disparaissent dans le corsage d’une fille à matelots, il s’en saisit et le déplia.


«Bureau local des importations... blablabla... contrôle qualité produit...

C’t’une blague ? En trente ans de carrière, JAMAIS on est allé vérifier c’qu’y avait dans les tonneaux à Mimile, JAMAIS ! C’t’une honte ! Bientôt on va vouloir vérifier qu’la gnoôle, c’en est bien, farfouiller dans mes comptes occultes, et la prochaine étape, c’est quoi ? un quota de morpions par putain ? Et pourquoi pas me déclarer responsable de chaque client qui devient aveugle à cause de mon vitriol, hein ? Nan mais où va l’monde, j’vous jure...

Arland !»

Le pirate, qui se croyait hors de danger, sursauta.


«P’isque qu’t’as dejà le nez dans la caisse à Bibi, pourquoi qu’tu t’rendrais pas un peu utile en servant à ces messieurs un échantillon du rhum que tu m’barbotes, tout mauvais qu’tu l’dis ? Mais j’aime autant les prévenir tout de suite, c’est pas la maison qui paie... z’auront qu’à se faire rembourser par leurs patrons, même que j’veux bien faire une facture. Alors, on est pas bien, chez Mimile?»


Puis sans crier gare, son visage se décomposa et se tordit en une douloureuse contorsion. Une fois de plus, il se jeta au cou d’Arland Vanertal et fondit en larmes.


«Pourquoi qu’elle m’a fait ça, hein, dis? Pourquoi? MATHIIIIIIIIIILDE! Toutes des garces, gamin, toutes des garces, c’est moi qui te l’dis...»


Il se moucha bruyamment dans le parchemin officiel avant de le rendre, trempé de larmes, aux deux «inspecteurs» horrifiés.

La maîtrise de la situation commençait à échapper à Flanagan, quant à son second...

Il est plus capable de vous coller dans une situation inextricable que de vous en sortir le bougre !

Pensa le Capitaine en se retournant vers son acolyte pour le fixer intensément. Puis il se racla la gorge et reprit.

"HUM! Gardez donc le parchemin, vous semblez en avoir l'utilité, notre bureau nous fera un duplicata. Il ne faut pas vous mettre dans des états pareil patron, les femmes ça va, ça vient. Il nous faudrait plus d'une vie pour les comprendre. Seule les filles de joies sont une valeur sûre."

Rha, voilà que je sympathise avec les pirates, si ça s'apprend cet âne de Chico risque de nous faire pendre.
Pensa Flanagan hors de lui.

Le coup du mélo, je vous jure... Ça joue les brutes, ça se dit pirates en pillant, tuant à tire larigot mais une fois descendus de leur vaisseau ils ont le cœur aussi tendre qu'un puceau.
De toute façon un défi facilement gagné laisse une victoire amère et sans gloire, et nous empêchera de nous vanter dans le prochain port batave. C'est le moment de la jouer fine. Vas y Flanagan le grand jeu...

"Il ne sera pas dit que Bureau Local des importations et Débit de Piquette et ses représentants sont sans cœurs, nous repasserons faire notre office. D'ailleurs notre service doit être terminé."

Flanagan se retourna vers Arland Vanertal

"Et comme il est vrai que l'ambiance de votre commerce est chaleureuse nous allons rester un moment nous détendre. Ce valeureux Capitaine aura ainsi grand plaisir à nous offrir de quoi nous désaltérer. Ainsi que de nous faire visiter les lieux, l'arrière boutique semble être tout aussi accueillante que la salle principale si ce n'est plus..."

Après un instant de réflexion il se retourna de nouveau vers l'aubergiste toujours le nez dans le parchemin et lui demanda d'un air inquiet:

"Il rend vraiment aveugle votre vitriol?"